Je reproduis ici un article paru dans le numéro d'Ouest-France du 3 janvier 1975.
Françoise la Baraque, comme nous l'appelions, était une personne attachante comme le dit André Le Picard dans l'article. Elle vivait avec sa sœur dont elle disait qu'à sa mort "on l'enterrerait debout, comme un soldat"...
Françoise « de
Gouermel » n’est plus
Elle connut
Foujita, Rodin, Carco, Mistinguett.
La mort de
Françoise Loas, à Tréguier, a provoqué en ville et à Plougrescant une réaction
de tristesse et de nostalgie ; On la connaissait familièrement sous le nom
de Françoise de Gouermel, ce site de Plougrescant où elle a vécu. M. André Le
Picard, de Tréguier, évoque ici pour nos lecteurs des souvenirs entrés dans la
petite histoire du Trégor.
C’était une figure familière et pittoresque qui
animait ce site sauvage. Qui, dans les environs, ne connaissait
Françoise ? Dans sa cabane-bistrot, constituée par une ancienne cabine de
bains adossée à sa modeste et pauvre demeure « Françoise la baraque »
(pour certains) vivait là.
De Foujita à Francis
Carco.
Elle avait eu à Paris une jeunesse dorée et
libre, dans ce monde étrange des artistes qu’elle fréquentait. Elle avait été modèle
de peintres et de sculpteurs et vécu parmi eux la bohème heureuse
d’alors ; C’est ainsi qu’elle fréquenta le peintre japonais Foujita si en
vogue à l’époque dans sa somptueuse villa du parc Montsouris avec son beau
modèle Suzy la Rousse, aussi célèbre que lui-même ; le peintre Pascin,
dont elle était le modèle attitré, le peintre polonais Kisling, le sculpteur
Rodin, le peintre émailleur Jean Goulden, le chansonnier Martini, Mistinguett
et Maurice Chevalier, qu’elle connaissait très bien, les frères Lumière,
inventeurs du cinéma ; Francis Carco, auteur de La bohème et mon cœur.
Elle choisit la solitude
En 1934, rupture totale avec cette belle
époque. Françoise se retire dans son pays natal, choisit la solitude au bord de
la grève déserte de Gouermel, sorte d’ermitage ; c’était dans son petit
bistrot la halte bien sympathique des habitués de la baie ; le repos
devant un « pot » avant de remonter la rude côte ; les blagues pimentées
de Françoise et les nouvelles récentes dans un breton savoureux, sa langue
maternelle, qu’elle parlait à la perfection avec les familiers des environs,
cultivateurs, pêcheurs à pied, chasseurs, goémoniers. L’été, c’était le
rendez-vous de la jeunesse qu’elle aimait et comprenait. Venaient là aussi des
personnalités qu’attire le cadre unique de cette côte tourmentée : le savant
Alexis Carrel, sa femme et Lindbergh sont venus frapper à sa porte en quête de
leur petite bonne perdue un soir de fête de Saint-Nicolas à Buguélès. René
Baton, chef d’orchestre des concerts Pasdeloup ; Paul Chabas président des
artistes français ; Rolland Oudot, André Chochon, Ginette Delacour,
artistes peintres ; Marcel Cachin, qui venait à Buguélès, Bertrand Motte,
ancien député, président du Conseil général du Nord, Jean Guéhenno, de l’Académie
française ; Michel Robida, écrivain, dont la famille est une des plus fidèles
et des plus anciennes à Plougrescant. Françoise a reçu tous ceux-là qui ont
fait de notre côte leur séjour de vacances.
Intelligente e fine, elle avait le
don de s’adapter à chacun ; ses anecdotes étaient fameuses, dont elle sur
Foujita, qui l’amusait : le célèbre peintre devait au fisc un million
d’avant 39 ! La note était salée.. Foujita ne s’émut pas pour autant,
après un été passé à l’île de Bréhat avec Suzy la Rousse le couple nudiste dut
quitter l’île après bien des histoires ; puis la France… Il y revint dix
ans plus tard, la prescription étant passée. Et Foujita, en France, reprit ses
pinceaux qu’il n’avait d’ailleurs jamais quittés ; « Ce n’est pas
plus difficile que ça » constate Françoise avec un sourire
malicieux ; et de citer Renan « on peut exploiter les champs et les
mines pas les hommes.
Pour nous qui avions associé Françoise à la
baie de Gouermel depuis 40 ans, c’est avec regret et mélancolie que nous
invoquerons son image, liée à notre jeunesse envolée…
Et André Le
Picard conclut : Gouermel désormais
sans Françoise n’aura plus le même sens pour nos bons souvenirs.
Proposé par Jean Le Dû