Beaucoup de
Plougrescantais d’un certain âge ont certainement gardé le souvenir de Marie
Castel Meur. C’était une personne de fort tempérament, une grande et belle
femme avec une voix qui portait loin, très chaleureuse, colérique si elle se
sentait agressée, généreuse si quelqu’un avait besoin d’elle. La vie n’avait
pas été tendre pour elle. Elle était restée veuve assez jeune avec ses trois
garçons à élever, avec de très petits moyens. Elle habitait dans la maison du
Gouffre, non pas la maison entre les deux rochers, mais l’autre. On est obligé
de passer devant cette maison quand on va visiter le Gouffre. Si elle n’était
pas dans son champ à cultiver ses pommes de terre ou ses légumes, elle était
forcément chez elle ou devant sa maison à surveiller ses moutons. Le site du
Gouffre était entretenu par ses quelques brebis. Il n’y avait aucune ronce ni même
des ajoncs. En revanche, les bruyères prospéraient et quand elles étaient en
fleurs tout le site était rose et mauve, c’était vraiment une splendeur. Marie
n’avait peur de rien ni de personne. Il lui arrivait souvent de côtoyer des
personnes importantes. À l’époque, il n’y avait pas encore de cars de touristes
qui venaient visiter Castel Meur. Au moment des grandes marées et des tempêtes,
les « gens de l’intérieur » venaient spécialement voir le spectacle,
et beaucoup étaient conviés par elle à boire le café dans sa maison. C’est ainsi
qu’un jour elle reçut le préfet des Côtes-du-Nord : elle venait de pêcher
des ormeaux, et Monsieur le préfet lorgnait vers son panier avec un regard
plein d’envie. Avec sa générosité habituelle elle lui fit cadeau d’une dizaine
de ces mollusques. Marie Le Louarn, appelée Marie Castel Meur, connaissait tous
les bons coins pour pêcher les ormeaux, c’était son territoire ! – « Si
vous avez besoin d’un service, Marie, n’hésitez surtout pas ! ». Un
jour elle eut un problème de paperasses à résoudre qui la préoccupait beaucoup.
Mon cousin Paul Le Saux et sa femme Jeanne étaient de passage. Marie leur
expliqua qu’il lui fallait une signature importante. Ils étaient en vacances et
proposèrent à Marie de l’emmener à Saint-Brieuc voir le préfet. Rendez-vous fut
pris, et le jour venu Marie était sur son trente-et-un, ses claques du dimanche
étaient bien cirées et elle avait acheté un nouveau tablier-robe de couleur
bleu et lilas avec une belle fermeture zip
qui remplaçait les boutons habituels. Arrivés à Saint-Brieuc à la préfecture,
elle fut reçue tout de suite dans le bureau du préfet. J’ai oublié de dire qu’elle
était venue avec un panier plein d’ormeaux. Mon cousin entendait les
exclamations et les rires de l’autre côté de la porte. Au bout d’un moment, Marie
sortit avec son papier signé. Monsieur le préfet vint plusieurs fois avec son
épouse boire le café dan la petite maison du Gouffre, cela le changeait de tous
les tracas et lui changeait les idées.
Le 19 mai
1947, il s’est passé un événement extraordinaire. C’était le 600e
anniversaire de la canonisation de Saint Yves. Tout Tréguier était pavoisé, et
le pardon de Saint Yves fut fêté avec un éclat particulier. La foule était
énorme, des avocats vinrent du monde entier saluer leur saint patron ; le chœur
de la cathédrale était rempli d’évêques, et le Pape Pie XII avait dépêché son
nonce apostolique, le cardinal Roncalli, pour élever avec solennité la
cathédrale au rang de basilique. C’était énorme ! Il y eut même un timbre
sorti ce jour-là à l’effigie du saint. Beaucoup de personnes en profitèrent
pour oblitérer ce timbre sur des cartes postales avec le cachet « premier
jour » ! La procession jusqu’à Minihy est très longue, et le pauvre
cardinal qui présidait la cérémonie et devait distribuer ses bénédictions à
droite et à gauche était complètement épuisé. Il faut dire qu’il avait les
jambes un peu courtes et un problème de poids. Après la cérémonie, après avoir mangé,
il devait demander à tous ces Monsignori de l’excuser de ne pas pouvoir venir
aux vêpres. Son chauffeur lui proposa d’aller admirer la côte, et c’est ainsi
que Marie Castel Meur vit arriver devant chez elle une grosse voiture noire avec
un pavillon bizarre, celui du Vatican. – « Celui-ci doit être important ! »,
se dit-elle. Comme elle ne craignait rien ni personne, elle s’avança hardiment
vers ce petit homme très sympathique qui lui souriait. – « Hola vat !
Vous êtes venu vous promener ? Allez voir comme c’est joli. Je vais faire
du café, et au retour vous pourrez vous reposer et vous réchauffer chez moi ».
Voici donc
le monseigneur cardinal qui entre chez elle au retour de sa promenade et qui s’installe
sur le banc devant la table. Avec son accent italien, il s’intéressa à la vie
de Marie et lui posa plein de questions tout en buvant son café bien chaud. Au moment
de partir, il la bénit ainsi que sa maison en la remerciant de son accueil.
Marie était très émue, et la vie reprit son cours.
Quelques
années après, le pape Pie XII, épuisé par un hoquet qui ne le quittait pas, mourut
au Vatican. Je crois que c’était en 1962. Il y eut donc un conclave pour élire
un nouveau pape.
Le
lendemain de l’élection, Marie Castel Meur alla chercher son pain au bourg à
bicyclette comme c’était son habitude. Sur le comptoir de la boulangerie il y
avait le journal Ouest-France avec le portrait du nouveau pape : - « Oh !
Ma Doue !, c’est pas Dieu possible ! Mais moi je le connais çui-là, il
a même bu le café chez moi et il m’a même bénie ! ». Le nouveau pape
était Monseigneur le cardinal Roncalli qui prit aussitôt le nom de Jean XXIII. Ce
pape révolutionna l’église catholique avec son concile. Il supprima le latin à
la messe, par exemple, il simplifia beaucoup de choses.
Marie était
complétement bouleversée, sur le chemin du retour elle trouva sa copine Titine
Adèle Cloarec qui sortait de la messe où elle allait tous les jours. Elle
descendit de sa bicyclette pour lui raconter avec force détails et beaucoup d’exclamations
son histoire. Tante Adèle s’empressa d’aller chez Bourdonnec raconter à son
amie Gabrielle l’histoire de Marie Castel Meur. La nouvelle se répandit comme
une traînée de poudre, et Marie eut son heure de gloire. Après cela, comment
voulez-vous qu’un simple préfet ou quelque autre célébrité l’impressionne ?
Jusqu’à la
fin de sa vie Marie reçut des cartes postales de personnes passées dans sa
petite maison. Il en venait de toute la France de la Suisse, de Belgique… Les adresses
étaient quelquefois fantaisistes – Marie Le Louarn, Marie Castel Meur, Marie du
Gouffre et même Marie Mouton. Le facteur de Plougrescant devait souvent faire
un grand détour, mais Marie recevait toujours son courrier !
Jeannick Le Saux-Rémond
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire