jeudi 22 septembre 2016

Pleraneg

Il y a toujours eu à Plougrescant des personnes qui sortent de l’ordinaire, des vedettes. Mon père racontait souvent l’histoire de « Pleraneg ». Cela se passait quand il avait dix ou douze ans, vers 1910. Pleraneg était un vieux gendarme à la retraite qui habitait à la sortie du bourg, sur la route de Porz Hir. Ambroise et sa mère Hélène y ont habité bien plus tard.
Pleraneg s’appelait ainsi parce qu’il était un enfant trouvé, un orphelin, que ses parents avaient abandonné à Ploubazlanec (Pleraneg en breton). Il venait donc d’un orphelinat où il avait appris à lire et à écrire. Il a ainsi pu entrer à la gendarmerie et y faire carrière.
D’après mon père, c’était un brave homme, mais qui n’avait pas la lumière à tous les étages, pas très futé.
Il avait appris la discipline à l’orphelinat et à la gendarmerie. À la retraite, il avait affiché son emploi du temps près de son lit : lever : 7h – toilette froide à la pompe : un quart d’heure – petit déjeuner – balayer la maison et faire le ménage de 9h à 10h – soigner les poules à la suite.
Il avait de la moralité et n’admettait pas la polygamie dans son poulailler : il y avait autant de poules que de coqs. Il y avait donc toujours la bagarre chez les volailles et Pleraneg voulait faire respecter la discipline ; les coqs se volaient dans les plumes et Pleraneg était désolé, catastrophé. Il racontait ses malheurs à tout le voisinage, qui rigolait dès qu’il avait le dos tourné.
Pleraneg était très économe. Il avait calculé qu’en allant chercher son vin à Tréguier il gagnait ½ sou par bouteille. Il avait acheté un vélo en arrivant en retraite – c’était un luxe à l’époque. Tous les mercredis, il installait 7 bouteilles vides dans un panier sur son porte-bagage (une bouteille par jour), un pneu de rechange autour des épaules, quelques rustines dans la poche : imaginez les routes de l’époque ! Elles n’étaient pas bitumées et les crevaisons étaient nombreuses ! Au retour de Tréguier, les enfants de l’école guettaient son arrivée. Ils le laissaient passer, puis se mettaient à crier : « Hep ! Pleraneg ! ». Celui-ci sursautait, tournait son guidon brutalement et patatras ! il tombait, et les précieuses bouteilles de vin se cassaient ; les garnements dont mon père, ne demandaient pas leur reste : ils s’enfuyaient comme une volée de moineaux. Papa en avait gardé un souvenir impérissable et il racontait souvent cet épisode de son enfance.

Jeannick Le Saux, épouse de Guy Rémond.

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