mardi 18 octobre 2016

Françoise de Gouermel

Je reproduis ici un article paru dans le numéro d'Ouest-France du 3 janvier 1975.

Françoise la Baraque, comme nous l'appelions, était une personne attachante comme le dit André Le Picard dans l'article. Elle vivait avec sa sœur dont elle disait qu'à sa mort "on l'enterrerait debout, comme un soldat"...


Françoise « de Gouermel » n’est plus

Elle connut Foujita, Rodin, Carco, Mistinguett.
La mort de Françoise Loas, à Tréguier, a provoqué en ville et à Plougrescant une réaction de tristesse et de nostalgie ; On la connaissait familièrement sous le nom de Françoise de Gouermel, ce site de Plougrescant où elle a vécu. M. André Le Picard, de Tréguier, évoque ici pour nos lecteurs des souvenirs entrés dans la petite histoire du Trégor.
C’était une figure familière et pittoresque qui animait ce site sauvage. Qui, dans les environs, ne connaissait Françoise ? Dans sa cabane-bistrot, constituée par une ancienne cabine de bains adossée à sa modeste et pauvre demeure « Françoise la baraque » (pour certains) vivait là.

De Foujita à Francis Carco.

Elle avait eu à Paris une jeunesse dorée et libre, dans ce monde étrange des artistes qu’elle fréquentait. Elle avait été modèle de peintres et de sculpteurs et vécu parmi eux la bohème heureuse d’alors ; C’est ainsi qu’elle fréquenta le peintre japonais Foujita si en vogue à l’époque dans sa somptueuse villa du parc Montsouris avec son beau modèle Suzy la Rousse, aussi célèbre que lui-même ; le peintre Pascin, dont elle était le modèle attitré, le peintre polonais Kisling, le sculpteur Rodin, le peintre émailleur Jean Goulden, le chansonnier Martini, Mistinguett et Maurice Chevalier, qu’elle connaissait très bien, les frères Lumière, inventeurs du cinéma ; Francis Carco, auteur de La bohème et mon cœur.

Elle choisit la solitude

En 1934, rupture totale avec cette belle époque. Françoise se retire dans son pays natal, choisit la solitude au bord de la grève déserte de Gouermel, sorte d’ermitage ; c’était dans son petit bistrot la halte bien sympathique des habitués de la baie ; le repos devant un « pot » avant de remonter la rude côte ; les blagues pimentées de Françoise et les nouvelles récentes dans un breton savoureux, sa langue maternelle, qu’elle parlait à la perfection avec les familiers des environs, cultivateurs, pêcheurs à pied, chasseurs, goémoniers. L’été, c’était le rendez-vous de la jeunesse qu’elle aimait et comprenait. Venaient là aussi des personnalités qu’attire le cadre unique de cette côte tourmentée : le savant Alexis Carrel, sa femme et Lindbergh sont venus frapper à sa porte en quête de leur petite bonne perdue un soir de fête de Saint-Nicolas à Buguélès. René Baton, chef d’orchestre des concerts Pasdeloup ; Paul Chabas président des artistes français ; Rolland Oudot, André Chochon, Ginette Delacour, artistes peintres ; Marcel Cachin, qui venait à Buguélès, Bertrand Motte, ancien député, président du Conseil général du Nord, Jean Guéhenno, de l’Académie française ; Michel Robida, écrivain, dont la famille est une des plus fidèles et des plus anciennes à Plougrescant. Françoise a reçu tous ceux-là qui ont fait de notre côte leur séjour de vacances.
Intelligente e fine, elle avait le don de s’adapter à chacun ; ses anecdotes étaient fameuses, dont elle sur Foujita, qui l’amusait : le célèbre peintre devait au fisc un million d’avant 39 ! La note était salée.. Foujita ne s’émut pas pour autant, après un été passé à l’île de Bréhat avec Suzy la Rousse le couple nudiste dut quitter l’île après bien des histoires ; puis la France… Il y revint dix ans plus tard, la prescription étant passée. Et Foujita, en France, reprit ses pinceaux qu’il n’avait d’ailleurs jamais quittés ; « Ce n’est pas plus difficile que ça » constate Françoise avec un sourire malicieux ; et de citer Renan « on peut exploiter les champs et les mines pas les hommes.
Pour nous qui avions associé Françoise à la baie de Gouermel depuis 40 ans, c’est avec regret et mélancolie que nous invoquerons son image, liée à notre jeunesse envolée…

Et André Le Picard conclut : Gouermel désormais sans Françoise n’aura plus le même sens pour nos bons souvenirs.

Proposé par Jean Le Dû

jeudi 6 octobre 2016

Marie Castel Meur


   Beaucoup de Plougrescantais d’un certain âge ont certainement gardé le souvenir de Marie Castel Meur. C’était une personne de fort tempérament, une grande et belle femme avec une voix qui portait loin, très chaleureuse, colérique si elle se sentait agressée, généreuse si quelqu’un avait besoin d’elle. La vie n’avait pas été tendre pour elle. Elle était restée veuve assez jeune avec ses trois garçons à élever, avec de très petits moyens. Elle habitait dans la maison du Gouffre, non pas la maison entre les deux rochers, mais l’autre. On est obligé de passer devant cette maison quand on va visiter le Gouffre. Si elle n’était pas dans son champ à cultiver ses pommes de terre ou ses légumes, elle était forcément chez elle ou devant sa maison à surveiller ses moutons. Le site du Gouffre était entretenu par ses quelques brebis. Il n’y avait aucune ronce ni même des ajoncs. En revanche, les bruyères prospéraient et quand elles étaient en fleurs tout le site était rose et mauve, c’était vraiment une splendeur. Marie n’avait peur de rien ni de personne. Il lui arrivait souvent de côtoyer des personnes importantes. À l’époque, il n’y avait pas encore de cars de touristes qui venaient visiter Castel Meur.    Au moment des grandes marées et des tempêtes, les « gens de l’intérieur » venaient spécialement voir le spectacle, et beaucoup étaient conviés par elle à boire le café dans sa maison. C’est ainsi qu’un jour elle reçut le préfet des Côtes-du-Nord : elle venait de pêcher des ormeaux, et Monsieur le préfet lorgnait vers son panier avec un regard plein d’envie. Avec sa générosité habituelle elle lui fit cadeau d’une dizaine de ces mollusques. Marie Le Louarn, appelée Marie Castel Meur, connaissait tous les bons coins pour pêcher les ormeaux, c’était son territoire ! – « Si vous avez besoin d’un service, Marie, n’hésitez surtout pas ! ». Un jour elle eut un problème de paperasses à résoudre qui la préoccupait beaucoup. Mon cousin Paul Le Saux et sa femme Jeanne étaient de passage. Marie leur expliqua qu’il lui fallait une signature importante. Ils étaient en vacances et proposèrent à Marie de l’emmener à Saint-Brieuc voir le préfet. Rendez-vous fut pris, et le jour venu Marie était sur son trente-et-un, ses claques du dimanche étaient bien cirées et elle avait acheté un nouveau tablier-robe de couleur bleu et lilas avec une belle fermeture zip qui remplaçait les boutons habituels. Arrivés à Saint-Brieuc à la préfecture, elle fut reçue tout de suite dans le bureau du préfet. J’ai oublié de dire qu’elle était venue avec un panier plein d’ormeaux. Mon cousin entendait les exclamations et les rires de l’autre côté de la porte. Au bout d’un moment, Marie sortit avec son papier signé. Monsieur le préfet vint plusieurs fois avec son épouse boire le café dan la petite maison du Gouffre, cela le changeait de tous les tracas et lui changeait les idées.
   Le 19 mai 1947, il s’est passé un événement extraordinaire. C’était le 600e anniversaire de la canonisation de Saint Yves. Tout Tréguier était pavoisé, et le pardon de Saint Yves fut fêté avec un éclat particulier. La foule était énorme, des avocats vinrent du monde entier saluer leur saint patron ; le chœur de la cathédrale était rempli d’évêques, et le Pape Pie XII avait dépêché son nonce apostolique, le cardinal Roncalli, pour élever avec solennité la cathédrale au rang de basilique. C’était énorme ! Il y eut même un timbre sorti ce jour-là à l’effigie du saint. Beaucoup de personnes en profitèrent pour oblitérer ce timbre sur des cartes postales avec le cachet « premier jour » ! La procession jusqu’à Minihy est très longue, et le pauvre cardinal qui présidait la cérémonie et devait distribuer ses bénédictions à droite et à gauche était complètement épuisé. Il faut dire qu’il avait les jambes un peu courtes et un problème de poids. Après la cérémonie, après avoir mangé, il devait demander à tous ces Monsignori de l’excuser de ne pas pouvoir venir aux vêpres. Son chauffeur lui proposa d’aller admirer la côte, et c’est ainsi que Marie Castel Meur vit arriver devant chez elle une grosse voiture noire avec un pavillon bizarre, celui du Vatican. – « Celui-ci doit être important ! », se dit-elle. Comme elle ne craignait rien ni personne, elle s’avança hardiment vers ce petit homme très sympathique qui lui souriait. – « Hola vat ! Vous êtes venu vous promener ? Allez voir comme c’est joli. Je vais faire du café, et au retour vous pourrez vous reposer et vous réchauffer chez moi ».
Voici donc le monseigneur cardinal qui entre chez elle au retour de sa promenade et qui s’installe sur le banc devant la table. Avec son accent italien, il s’intéressa à la vie de Marie et lui posa plein de questions tout en buvant son café bien chaud. Au moment de partir, il la bénit ainsi que sa maison en la remerciant de son accueil. Marie était très émue, et la vie reprit son cours.
   
   Quelques années après, le pape Pie XII, épuisé par un hoquet qui ne le quittait pas, mourut au Vatican. Je crois que c’était en 1962. Il y eut donc un conclave pour élire un nouveau pape.
  Le lendemain de l’élection, Marie Castel Meur alla chercher son pain au bourg à bicyclette comme c’était son habitude. Sur le comptoir de la boulangerie il y avait le journal Ouest-France avec le portrait du nouveau pape : - « Oh ! Ma Doue !, c’est pas Dieu possible ! Mais moi je le connais çui-là, il a même bu le café chez moi et il m’a même bénie ! ». Le nouveau pape était Monseigneur le cardinal Roncalli qui prit aussitôt le nom de Jean XXIII. Ce pape révolutionna l’église catholique avec son concile. Il supprima le latin à la messe, par exemple, il simplifia beaucoup de choses.
   Marie était complétement bouleversée, sur le chemin du retour elle trouva sa copine Titine Adèle Cloarec qui sortait de la messe où elle allait tous les jours. Elle descendit de sa bicyclette pour lui raconter avec force détails et beaucoup d’exclamations son histoire. Tante Adèle s’empressa d’aller chez Bourdonnec raconter à son amie Gabrielle l’histoire de Marie Castel Meur. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, et Marie eut son heure de gloire. Après cela, comment voulez-vous qu’un simple préfet ou quelque autre célébrité l’impressionne ?
   Jusqu’à la fin de sa vie Marie reçut des cartes postales de personnes passées dans sa petite maison. Il en venait de toute la France de la Suisse, de Belgique… Les adresses étaient quelquefois fantaisistes – Marie Le Louarn, Marie Castel Meur, Marie du Gouffre et même Marie Mouton. Le facteur de Plougrescant devait souvent faire un grand détour, mais Marie recevait toujours son courrier !


Jeannick Le Saux-Rémond

La communion de mon père.

    Mon père est né au Havre en 1902. Ses parents étaient très pauvres. Son père était chauffeur sur les bateaux, c'est-à-dire qu’il travaillait dans les soutes des navire à alimenter en charbon les chaudières. C’était épuisant, malsain, il ne voyait jamais le jour, il fallait beaucoup de courage. Ma grand-mère, complètement illettrée, ce qui n’empêchait pas son intelligence, lavait le linge des marins qui accostaient au port après trois ou quatre mois de navigation. Le quartier Saint-François où ils habitaient était le fief des Bretons du Havre. C’était très vieux, très sale, il n’y avait ni eau, ni électricité aux étages. Ma grand-mère Françoise, appelée Francéa, montait les seaux d’eau jusqu’au quatrième pour faire ses lessives. On peut dire que c’était la misère ! En économisant sur tout, ils purent acheter une petite maison à Kerbleustic. Ils se disaient que la misère du pays natal serait peut-être plus facile à vivre que la misère du Havre, et, au moins, il seraient au grand air.
    Papa avait huit ans quand ils s’installèrent à Kerbleustic pour une nouvelle vie. Dans le quartier Saint-François, tout le monde parlait breton. Il fut donc tout de suite à l’aise avec ses nouveau copains. La famille possédait une petite pièce de terre autour de la maison, elle se mit donc à cultiver des pommes de terre, des légumes pour la soupe, des betteraves fourragères et des navets que ma grand-mère faisait cuire dans l’âtre dans un gros chaudron pour nourrir le cochon. Avec le restant des économies, ils purent acheter une petite vache « pie noire ». Cette vache paissait sur le bord des fossés. Dans toutes les familles cela se passait ainsi, il n’y avait pas besoin d’élagueuse, tout était très propre. Avec en plus quelques poules, Ils purent vivre presque confortablement. La vache donnait beaucoup de lait malgré sa petite taille et ne coûtait pas cher en nourriture. Il y avait du lait, du beurre... Toute la faille mangeait des patates avec du lait ribot, c’était l’ordinaire de la maison. Par contre, tous les œufs étaient vendus. En manger était considéré comme du dizurz, du gaspillage. Tous les mercredis, Francéa prenait le char à bancs avec ses deux paniers, l’un rempli d ‘œufs, l’autre de mottes de beurre. Elle s’installait sur la place des Halles avec ses marchandises. Si elle ne savait pas lire, elle était imbattable en calcul mental.
    L’année de ses douze ans, le petit Édouard fit sa communion solennelle. Quel événement ! À cette occasion, ma grand-mère, qui voulait que son petit garçon soit « chic », fit un achat somptuaire. Elle avait économisé sou par ou pour acheter à son fils un beau chapeau melon. Elle, qui avait vécu en ville pensait que c’était le summum de l’élégance. Imaginez un peu ce jeune garçon avec son beau costume un peu trop large et un peu trop long qui devait faire du « profit » pendant deux ou trois ans et son beau chapeau melon ! Tous ses copains d’alors, les L’Anthoën, les Tual, les Cloarec, les Boulard étaient pliés de rire, et lui ne savait plus où se mettre. II était vraiment mortifié. Heureusement que dans l’église les garçons et les hommes sont tête nue ! Après la messe, il partit en courant à la maison pendant que sa mère et sa sœur visitaient leurs tombes familiales. À mi chemin de la maison, le petit Édouard, qui tenait son chapeau à la main, le lança dans un talus parmi les ajoncs fleuris. Au moment de retourner à l’église aux vêpres, impossible de mettre la main sur le chapeau. « Oh ! Ma Doué ! », c’était la catastrophe ! La maman était bouleversée, et pendant longtemps elle reprocha à son fils sa négligence et son manque de soin pour ses affaires. Il est probable que le cultivateur propriétaire du talus trouva ce couvre-chef étrange à la saison de la coupe des ajoncs, et on peut même imaginer qu’il s’en servit sur un épouvantail pour les oiseaux !
    Papa avait des remords d’avoir fait de la peine à sa mère qu’il adorait. Pour se faire pardonner, il trouva un subterfuge. Son père, Jean-Marie, qui savait lire, était abonné à Ouest-Éclair. À la fin de la journée, il passait le journal à ses voisins Maï Poléon et L’Anthoën. Il y avait un feuilleton genre Les Mystères de Paris ou Les deux orphelines, et papa prit l’habitude de lire à sa maman ces belles histoires tristes. Lorsqu’il revenait de l’école, après avoir mangé sa tartine et fait ses devoirs, il prenait le journal ; Francéa s’installait confortablement avec son tricot, et son fils lui lisait la suite de l’histoire : elle attendait ce moment, qui était la recréation de la journée.
    Papa parlait toujours avec émotion de ces moments bénis où il était si proche de sa mère.


Jeannick Le Saux-Rémond