jeudi 22 septembre 2016

Une tombe irlandaise à Plougrescant...



David Tuomey, The Spa, Co Kerry, Ireland.
Died at sea 26th August 1938, RIP[1].

Cela fait plusieurs années que je suis intrigué par cette tombe. Comment un Irlandais décédé il y a 78 ans s’est-il retrouvé dans le cimetière de Plougrescant ? M. Kieran Ruttledge, de la chambre de commerce de Tralee, m’a aimablement envoyé un résumé de l’histoire.
Les Tuomey vivaient depuis la fin du XIX° siècle à Ballygarran, dans le village de Spa, tout près de Tralee dans le comté de Kerry, au Sud-Ouest de l‘Irlande. La famille était spécialisée dans le commerce du thé et du vin. David, né le 11 novembre 1891, était le cadet des huit enfants… et l’unique garçon. De son mariage avec Mary Houlihan de Dingle en 1917 naîtront 7 enfants : Thomas, Terence, John, David, Mary, Kathleen et une autre fille. David était un passionné de voile. Alors qu’il naviguait au large des côtes françaises venant de Tralee et se dirigeant vers Saint-Malo en compagnie de son ami Tom Duckham, de Dingle, son yacht, le Colleen, heurta un récif au large de Plougrescant dans la nuit du 25 au 26 août vers 2h du matin. Le bateau coulait quand David redescendit précipitamment dans la cabine pour récupérer des papiers… et se noya. Tom réussit à se sauver avec l'annexe du bord et à regagner la côte près de l'habitation du pêcheur Gonéry L'Anthoën qui le réconforta. L'accident s’étant produit en pleine nuit, Il fut impossible, malgré les recherches entreprises par 1es pêcheurs de Plougrescant et le bateau de sauvetage de Ploumanach de retrouver le corps du propriétaire du Colleen. Les pêcheurs François Kerambrun et Jean Gauthier localisèrent le lieu de l'accident en trouvant des épaves et des taches d'huiles.



Article paru dans l'Ouest-Éclair du 27 août 1938.

En apprenant l'accident, la famille Tuomey vint en Bretagne pour prendre des dispositions pour les funérailles au cas où son corps serait retrouvé, ce qui n’advint qu’après leur retour en Irlande. Le curé de la paroisse et M. Reux, propriétaire d'un hôtel local, se chargèrent de l’enterrer selon les vœux de la famille.
ci-contre : Photo de David Tuomey telle que publiée dans le journal The Kerryman en 1938.

Une question demeure cependant : qui donc prend soin si fidèlement de la tombe depuis 1938 ?
Jean Le Dû




[1] Mort en mer le 26 août 1938, qu’il repose en paix [Rest in Peace ou Requiescat in Pace].

Pleraneg

Il y a toujours eu à Plougrescant des personnes qui sortent de l’ordinaire, des vedettes. Mon père racontait souvent l’histoire de « Pleraneg ». Cela se passait quand il avait dix ou douze ans, vers 1910. Pleraneg était un vieux gendarme à la retraite qui habitait à la sortie du bourg, sur la route de Porz Hir. Ambroise et sa mère Hélène y ont habité bien plus tard.
Pleraneg s’appelait ainsi parce qu’il était un enfant trouvé, un orphelin, que ses parents avaient abandonné à Ploubazlanec (Pleraneg en breton). Il venait donc d’un orphelinat où il avait appris à lire et à écrire. Il a ainsi pu entrer à la gendarmerie et y faire carrière.
D’après mon père, c’était un brave homme, mais qui n’avait pas la lumière à tous les étages, pas très futé.
Il avait appris la discipline à l’orphelinat et à la gendarmerie. À la retraite, il avait affiché son emploi du temps près de son lit : lever : 7h – toilette froide à la pompe : un quart d’heure – petit déjeuner – balayer la maison et faire le ménage de 9h à 10h – soigner les poules à la suite.
Il avait de la moralité et n’admettait pas la polygamie dans son poulailler : il y avait autant de poules que de coqs. Il y avait donc toujours la bagarre chez les volailles et Pleraneg voulait faire respecter la discipline ; les coqs se volaient dans les plumes et Pleraneg était désolé, catastrophé. Il racontait ses malheurs à tout le voisinage, qui rigolait dès qu’il avait le dos tourné.
Pleraneg était très économe. Il avait calculé qu’en allant chercher son vin à Tréguier il gagnait ½ sou par bouteille. Il avait acheté un vélo en arrivant en retraite – c’était un luxe à l’époque. Tous les mercredis, il installait 7 bouteilles vides dans un panier sur son porte-bagage (une bouteille par jour), un pneu de rechange autour des épaules, quelques rustines dans la poche : imaginez les routes de l’époque ! Elles n’étaient pas bitumées et les crevaisons étaient nombreuses ! Au retour de Tréguier, les enfants de l’école guettaient son arrivée. Ils le laissaient passer, puis se mettaient à crier : « Hep ! Pleraneg ! ». Celui-ci sursautait, tournait son guidon brutalement et patatras ! il tombait, et les précieuses bouteilles de vin se cassaient ; les garnements dont mon père, ne demandaient pas leur reste : ils s’enfuyaient comme une volée de moineaux. Papa en avait gardé un souvenir impérissable et il racontait souvent cet épisode de son enfance.

Jeannick Le Saux, épouse de Guy Rémond.

Mon Plougrescant, un tout petit monde…

Mon Plougrescant, ce sont les huit premières années de ma vie. Et d’un coup la rupture, le retour dans mon pays natal de Dieppe vers mars 1946. Nos familles, revenues ici en tant que réfugiés, vivaient dans l’espoir de pouvoir repartir au Havre, à Toulon ou autre port de mer. Rester au pays n’était pas concevable : seul l’exil permettait l‘espoir d’une vie meilleure. Mon Plougrescant, c’était une petite enfance entre parenthèses dont il me reste des images, des sons, des personnages figés dans leur éternité.
D’abord le quartier du Roudour. Hiver comme été, les portes restaient ouvertes. On entrait dans les maisons sans s’annoncer, avec la consigne de ne pas trop aller « lever son nez »  chez les voisins.
Je n’ai guère quitté Mon copain Sentig, jusqu’à ce qu’une méningite ne l’enlève à l’âge de six ans. Je le vois toujours sur son lit de mort… Mais je me souviens aussi de nos jeux, qui tournaient tous autour de la ferme, son univers. Il parlait sentencieusement comme son père, qu’il n’avait pourtant pas connu, puisqu’il était prisonnier en Allemagne. Quand il a été question d’aller à l’école, ce qui ne l’enchantait guère, il se consolait en me proposant : « H efom d’ar skol, ha goude h efom d’evhañ pob vanh ti Saint » ‘nous irons à l’école et ensuite nous irons boire un coup chez Le Saint’. De vrais hommes, quoi !
Il y avait aussi les filles, plus nombreuses, avec lesquelles je jouais « petite maison » … Quand je partais à l’école, ma voisine Solange m‘arrêtait le matin pour faire briller mes sabots – que je m’empressais de couvrir de terre, « avec la honte ! » !
Mon univers s’élargissait parfois jusqu’à Porz Scaff, jusqu’au bourg où se trouvaient l’école, l’église et la chapelle. Nous allions à Kermerrien le dimanche rendre visite à mes grands-parents maternels, poussant parfois jusqu’à Buguélès où vivaient ma grand-mère paternelle et ma tante Rose. Il nous fallait suivre un sentier pour longer le marais de Gouermel, car la route n’existait pas encore.
Au cours de ma deuxième vie, passée à Dieppe de 1946 à 1957, j’avais le sentiment de n’être que momentanément absent – même si je ne séjournais à Plougrescant que quelques semaines chaque année. Au point de décider vers l’âge de quatorze ans ne plus parler qu’en breton à mes parents, lubie à laquelle ils ont dû se plier, et qui est devenue jusqu’à aujourd'hui un des points centraux de ma vie.


Jean Le Dû