vendredi 16 mars 2018

La marée noire de l'Amoco Cadiz

Le 16 mars 1978, c’était un jeudi. 
C’est donc le vendredi matin, au réveil, que l’on a appris qu’un pétrolier battant pavillon libérien, l’Amoco Cadiz, s’était échoué au large de Portsall, dans le Finistère.

Nous habitions à Brest, à l’époque. Je me souviens que nous sommes montés dans la voiture, pour aller voir… Je me souviens de vagues noires et épaisses. J’ai jeté un caillou dans l’eau et il a été englouti, sans faire d’éclaboussures, il a juste sombré dans la masse visqueuse. 

Quarante ans plus tard, je vois toujours ce caillou tomber.


Est-ce le même week-end ou la semaine suivante que nous sommes allés à Plougrescant ? A vol d’oiseau, Portsall-Plougrescant, c’est une bonne centaine de kilomètres. La marée noire, évidemment, était dans toutes les conversations, mais c’était loin et on espérait juste que les vents nous seraient favorables.


Parce qu’à Plougrescant, on savait de quoi on parlait.

On avait eu une marée noire, déjà, en mars 1967, celle du Torrey Canyon. Il y a quelque part des photos de moi, bébé, devant des rochers dévastés.



En 1967, dans les bras de papa devant la première marée noire, celle du Torrey Canyon. En arrière-plan on voit la maison de Nina D’Asty, démolie dans les années 1990.


Ce jour là – était-ce le dimanche suivant ou celui d’après – nous sommes donc allés déjeuner chez mes grands-parents, au Roudour. Après le dessert, pendant que les adultes parlaient entre eux, nous sommes sorties, avec ma petite sœur et ma cousine, jouer dehors dans le jardin. 
Il faisait beau, je crois, une de ces après-midis où l’on sent que la promesse du printemps est toute proche.

C’est là que j’ai senti l’odeur.

La même odeur qu’à Portsall.

Les grèves étaient encore magnifiques, elles avaient eu le temps de se régénérer, en neuf ans. On ne voyait de pétrole nulle part, mais l’odeur était là.
Quelques jours plus tard, alors qu’on était rentrés à Brest, ma tante a téléphoné.

La marée noire était arrivée.

Lorsqu’on est retournés à Plougrescant, la fois suivante, Porz Scaff était un champ de bataille, avec des gens en ciré, des tracteurs qui ramassaient des tonnes de magma noir mélangé à des cailloux et au sable qui, toute mon enfance, avait servi à construire des châteaux forts, en dérisoires remparts contre les vagues.

Je crois aussi que c’est la première fois que j’ai vu des adultes pleurer.
Donaig Le Dû