jeudi 19 janvier 2017

Les congres...

Été 1953. Un premier séjour prolongé à Plougrescant !



Mon père aimait pêcher, et sur les conseils de Maï Castell Meur avait obtenu des habitants de la grande maison – aujourd’hui démolie – dite de Nina Dasti, l’autorisation de camper près du mur qui bordait le site du Gouffre.

Nous posions alors des lignes de fond qui plaisaient aux congres. Ces horribles bestioles étaient mises en attente dans des mares près de notre tente.

Des rares touristes passant par là nous demandèrent de les porter à l’hôtel de Porz Hir où, paraît-il, ils ne mangeaient pas beaucoup de poissons…
Sitôt dit, sitôt fait, et nous fîmes connaissance de Jean Coadou, très accueillant, qui devint aussitôt un ami. Il nous remercia à coups de punchs bien tassés agrémentés d’histoires exotiques… Le retour à Castell Meur fut très joyeux.


Le lendemain… il y avait à nouveau des congres !!

Françoise Lancien

Le caviar...

Enfant, je me souviens des pancartes peintes à la main de Yves Gauther « Par ici la mer », le ciel, la mer, et la terre, comme terrain de jeu où nous croisions au hasard de nos courses sur les chemins quelques poules.


Les poules d’Yves Gauther qui répondaient à ses appels quand il rentrait de la pêche et qui se nourrissaient des restes de chaque pêche miraculeuse.
Elles avaient un long cou qui se tendait à son appel avec un air cocasse, un air interloqué et affamé. Elles couraient à toutes pattes, en file indienne, le long des routes pour regagner au plus vite la ferme.
Chaque été mon père, le premier jour de notre arrivée, allait, avec nous, dire bonjour, saluer les visages de son enfance, les visages de Plougrescant.
Et ces visages ne changeaient pas d’une année sur l’autre, la même attitude, le même air droit, la même lumière dans les yeux, et cet accent si caractéristique de Plougrescant qui cogne et qui roule comme la mer sur les galets.
Ensemble, nous adorions faire le tour des fermes, avec à chaque fois la promesse d’un verre pour lui et de quelques biscuits apéritif pour mon frère et moi.

Un jour nous ne sommes pas allés, comme nous le faisions toujours, chez Yves Gauther en premier, Kerever était juste à côté, et nous commencions toujours par les saluer, sa femme et lui, en premier.
En descendant du bourg nous nous sommes arrêtés chez leur fille Lélé.
Le mari de Lélé venait de rentrer d’un long périple en mer.
Il était parti en Russie et il avait rapporté en cadeau à son beau père un kilo de caviar.
Je vois dans le regard de Jacques de la surprise, de la joie et de la gourmandise.
Nous voilà parti chez Yves que nous trouvons, comme toujours, attablé devant un verre de rouge dans sa cuisine.
Mon père, ému de le revoir et trop impatient aussi, essaie avec maladresse de le mettre sur la voie du cadeau russe.
Les phrases échangées sont courtes, les silences plus éloquents que les mots s’imposent à chaque nouvelle donnée :
 « La santé ? - Bonne... »
 « La pêche ? - Pas terrible aujourd’hui, elle sera mieux demain, et le temps, il change mais on n’ a pas à se plaindre… »

Joie profonde d’être là, silence…
Enfin papa héroïquement se lance, vantant les mérites et la générosité de ce gendre providentiel.
Yves fronce les sourcils, ne comprend pas.
Jacques s’enlise, devient tout rouge, et pose enfin la question défendue :
 « Il t’a fait un sacré cadeau ! »
Yves, sa casquette vissée sur la tête, continue de le regarder droit dans les yeux, son verre de rouge à la main.
Il y avait de la malice dans ses yeux
Il y avait une bienveillance muette
Un silence .


Jacques est suspendu à ses lèvres, espérant la délivrance de sa réponse…
Yves rompt enfin ce silence prolongé et prononce cette phrase restée depuis gravée :

– « Quoi, cette saloperie de petits grains noirs ?… j’ai tout jeté aux poules ! »
  
Plougrescant : c’est l’éternité, l’authenticité et la lumière de ces instants partagés.
Ce sont ces visages, ces êtres rencontrés là et qui peuplent notre mémoire commune, et c’est aussi, là où le temps ne galope plus, mais nous entoure et nous enveloppe.
Plougrescant m’apaise et me ressource, comme une terre nourricière, peuplée de poules au long cou et aux pattes agiles, de rochers et d’horizon, et d’enfants qui courent dans les chemins.

Julie Brochen