lundi 18 septembre 2017

débrouille-toi avec tes grand-parents !


Cela devait être l'été 1988, durant lequel j'ai fêté mes 6 ans. Ce sont parmi mes premiers souvenirs d'enfant.
Chaque été nous passions un petit moment de vacances en famille au Varlen, dans la maison de notre grand-père.
Le confort y était sommaire. Les douches se prenaient dans la baignoire sabot installée dans la crèche et on allait aux toilettes « au fond du jardin » dans une sorte de petit appentis. Ces toilettes d'ailleurs me faisaient très peur, car je craignais qu'un serpent sortant de la fosse ne vienne me mordre les fesses !!
Mais la maison bénéficiait d'une situation exceptionnelle.
À l'époque, seul un passage de brouette la séparait de la grève. Autant dire que le jardin, c'était la plage !

Comme toutes les bonnes choses ont une fin, le moment du départ arriva. Les parents nous chargèrent (les trois gamins) et les valises, à l'arrière de la GS, et l'heure du retour vers Le Havre sonna. Nous avions déjà presque fait la dizaine de kilomètres qui mène à Tréguier, et je pleurais, pleurais… extrêmement déçue d'avoir dû quitter ce paradis avant la fin de l'été.
Papa, excédé, fit demi-tour.
Arrivé au Varlen, dans le champ proche de la maison, il me fit descendre de la voiture, en sortit ma valise et me dit : « Maintenant, et bien, débrouille toi avec tes grand-parents ! »
C'est comme ça que j'ai pu prolonger les vacances, seule avec mes grand-parents, choyée, initiée aux bonheurs des après-midi sur la grève. Je me souviens notamment d'un petit cours sur la pêche à la crevette, très appréciée de ma mamie.
Ce furent des moments exceptionnellement heureux.
Malheureusement ce fut le dernier été que mes grand-parents passèrent à Plougrescant, car la maladie les empêcha d'y retourner par la suite.

Plougrescant est resté pour moi un paradis, un lieu de ressourcement, mon chez moi, là où je me sens vraiment moi… Le lieu, magnifique, y est bien sûr pour quelque chose. Mais c'est aussi sûrement le souvenir de ces moments passés avec mes grand-parents qui justifie mon très grand attachement à cette petite parcelle de paradis.
Depuis, j'ai sans cesse ressenti le besoin vital d'y retourner très régulièrement afin de préserver mon équilibre.

Francine Perrin

Une petite-fille de Thomas Rémond.

dimanche 14 mai 2017

Le glas

Les sonneries des cloches continuent aujourd'hui encore à rythmer nos journées, bien que la plupart d’entre nous n’y prêtions guère attention. Depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 c’est du maire que dépend la gestion des sonneries civiles des cloches. Elles servent – ou plutôt ont servi – à donner l’heure à la population, fonction devenue inutile , puisque désormais le temps nous est mesuré inexorablement par nos montres, nos téléphones, la radio et que sais-je. On n’y échappe plus. Jadis nous mesurions le temps en quarts d’heure, voire en demi-heures. Maintenant, nous pensons en minutes : « il faut que je me grouille, il est dix-huit heures trente six ! ». Plus nous gagnons de temps et moins nous en avons.
L’emploi civil des cloches joue un rôle essentiel de communication de masse en cas de « péril commun »,. Je me souviens avoir été impressionné par les coups rapides et agressifs du tocsin (Kloh an tan ‘la cloche du feu’) – ce devait être un été, dans les années 1950 – et de me précipiter à la suite du voisinage jusqu’à la maison en flammes. Je conserve l’image d’une file de gens passant de main en main des seaux d’eau remplis au puits pour arriver à moitié vides en bout de course…
Je crois aussi me rappeler de la sonnerie annonçant la fin de la guerre et des explosions de joie qui s’en sont suivies. Ma mère, née en 1910, m’a souvent raconté qu’elle avait entendu le tocsin en août 1914 alors qu’elle rendait visite à sa grand-mère à Camlez et qu’elle avait annoncé en rentrant chez elle : Bah Kamlez ê diskared brezel ‘À Camlez, la guerre est renversée’ (au lieu de deklared ‘déclarée’).
La fonction religieuse des sonneries de cloches, la plus ancienne, ne subsiste qu’à l’état de souvenir. Je doute que quelqu’un à Plougrescant récite un « Je vous salue Marie » quand sonne l’angélus (7 heures du matin, midi et 7 heures du soir). Le cultivateur perché sur son tracteur ne se dit pas à ce moment précis : « L’angélus sonne, c’est l’heure du souper ! » … et d’ailleurs il ne l’entend peut-être même pas à cause du bruit du moteur difficilement couvert par la musique de Radio Bonheur.
De nos jours des sonneries accompagnent encore les – rares – offices, les mariages, les baptêmes et les enterrements. Naguère, elles guidaient les fidèles en route pour la grand-messe. La première sonnerie (ar zon gentañ) retentissait une demi-heure avant son début, la deuxième sonnerie (an eil son) un quart d’heure avant et enfin la troisième sonnerie (an dried son) indiquait le début de la cérémonie. Chacun, selon la distance qui le séparait du bourg, savait s’il devait se mettre en route, cheminer paisiblement ou hâter le pas.
Il y a quelques décennies – au moins jusqu’aux années 1960 –, les cloches informaient la population qu’un décès avait eu lieu dans la commune. Après quelques coups d’annonce, on précisait le sexe de la personne décédée : neuf coups pour un homme, et sept pour une femme. Pour laisser le temps de compter, on marquait une pause après les cinq premiers coups avant de frapper les quatre suivants pour un homme ; pour une femme, c’étaient quatre coups suivis de trois. On s’écriait aussitôt : eur marw zo ‘il y a un décès’ et piw zo maro ? ‘qui est mort ?’. Il n’y avait pas de téléphone, mais le bouche à oreille était très efficace et on savait très vite de qui il s’agissait. Jusqu’à la Première Guerre mondiale – mais je ne suis pas sûr de la date –, on donnait aussi la classe sociale du défunt grâce aux coups d’avertissement : deux ou trois sonneries de glas pour les miséreux, une sonnerie du petit carillon pour les gens plus aisés (selon les critères de l’époque !) et, pour les notables, carrément le grand carillon.
Les heures des enterrements étaient déterminées par le statut social du défunt : trois classes jusqu’à la Première Guerre mondiale, réduites à deux par la suite pour en arriver à l’époque présente où tous les morts semblent être devenus égaux…
La veille de l’enterrement, à la nuit tombante, on entendait le glas, une sonnerie lente, lugubre, lancinante, d’une tristesse infinie. Je me souviens, vers 1960, avoir eu la visite d’une famille normande qui n’était jamais venue en Bretagne.


C’était une soirée du mois d’août à Porz Hir, le temps était couvert, sans un souffle de vent, un de ces moments où le moindre bruit se transmet et s’amplifie. Deux dames remontaient du goémon de la grève sur une civière en bavardant en breton, pieds nus, coiffées d’une kartroñsenn. C’est alors que le glas s’est mis à sonner : les visiteurs normands ont ressenti un tel sentiment d’angoisse qu’ils ont décidé de s’en aller sans tarder. Je pense même qu’ils se sont enfuis.
Jean Le Dû

jeudi 19 janvier 2017

Les congres...

Été 1953. Un premier séjour prolongé à Plougrescant !



Mon père aimait pêcher, et sur les conseils de Maï Castell Meur avait obtenu des habitants de la grande maison – aujourd’hui démolie – dite de Nina Dasti, l’autorisation de camper près du mur qui bordait le site du Gouffre.

Nous posions alors des lignes de fond qui plaisaient aux congres. Ces horribles bestioles étaient mises en attente dans des mares près de notre tente.

Des rares touristes passant par là nous demandèrent de les porter à l’hôtel de Porz Hir où, paraît-il, ils ne mangeaient pas beaucoup de poissons…
Sitôt dit, sitôt fait, et nous fîmes connaissance de Jean Coadou, très accueillant, qui devint aussitôt un ami. Il nous remercia à coups de punchs bien tassés agrémentés d’histoires exotiques… Le retour à Castell Meur fut très joyeux.


Le lendemain… il y avait à nouveau des congres !!

Françoise Lancien

Le caviar...

Enfant, je me souviens des pancartes peintes à la main de Yves Gauther « Par ici la mer », le ciel, la mer, et la terre, comme terrain de jeu où nous croisions au hasard de nos courses sur les chemins quelques poules.


Les poules d’Yves Gauther qui répondaient à ses appels quand il rentrait de la pêche et qui se nourrissaient des restes de chaque pêche miraculeuse.
Elles avaient un long cou qui se tendait à son appel avec un air cocasse, un air interloqué et affamé. Elles couraient à toutes pattes, en file indienne, le long des routes pour regagner au plus vite la ferme.
Chaque été mon père, le premier jour de notre arrivée, allait, avec nous, dire bonjour, saluer les visages de son enfance, les visages de Plougrescant.
Et ces visages ne changeaient pas d’une année sur l’autre, la même attitude, le même air droit, la même lumière dans les yeux, et cet accent si caractéristique de Plougrescant qui cogne et qui roule comme la mer sur les galets.
Ensemble, nous adorions faire le tour des fermes, avec à chaque fois la promesse d’un verre pour lui et de quelques biscuits apéritif pour mon frère et moi.

Un jour nous ne sommes pas allés, comme nous le faisions toujours, chez Yves Gauther en premier, Kerever était juste à côté, et nous commencions toujours par les saluer, sa femme et lui, en premier.
En descendant du bourg nous nous sommes arrêtés chez leur fille Lélé.
Le mari de Lélé venait de rentrer d’un long périple en mer.
Il était parti en Russie et il avait rapporté en cadeau à son beau père un kilo de caviar.
Je vois dans le regard de Jacques de la surprise, de la joie et de la gourmandise.
Nous voilà parti chez Yves que nous trouvons, comme toujours, attablé devant un verre de rouge dans sa cuisine.
Mon père, ému de le revoir et trop impatient aussi, essaie avec maladresse de le mettre sur la voie du cadeau russe.
Les phrases échangées sont courtes, les silences plus éloquents que les mots s’imposent à chaque nouvelle donnée :
 « La santé ? - Bonne... »
 « La pêche ? - Pas terrible aujourd’hui, elle sera mieux demain, et le temps, il change mais on n’ a pas à se plaindre… »

Joie profonde d’être là, silence…
Enfin papa héroïquement se lance, vantant les mérites et la générosité de ce gendre providentiel.
Yves fronce les sourcils, ne comprend pas.
Jacques s’enlise, devient tout rouge, et pose enfin la question défendue :
 « Il t’a fait un sacré cadeau ! »
Yves, sa casquette vissée sur la tête, continue de le regarder droit dans les yeux, son verre de rouge à la main.
Il y avait de la malice dans ses yeux
Il y avait une bienveillance muette
Un silence .


Jacques est suspendu à ses lèvres, espérant la délivrance de sa réponse…
Yves rompt enfin ce silence prolongé et prononce cette phrase restée depuis gravée :

– « Quoi, cette saloperie de petits grains noirs ?… j’ai tout jeté aux poules ! »
  
Plougrescant : c’est l’éternité, l’authenticité et la lumière de ces instants partagés.
Ce sont ces visages, ces êtres rencontrés là et qui peuplent notre mémoire commune, et c’est aussi, là où le temps ne galope plus, mais nous entoure et nous enveloppe.
Plougrescant m’apaise et me ressource, comme une terre nourricière, peuplée de poules au long cou et aux pattes agiles, de rochers et d’horizon, et d’enfants qui courent dans les chemins.

Julie Brochen